🏅 Logo Paris 2024: Marianne ou Marie-Anne ?


Préambule

Commençons par dire que l’analyse que je vais vous proposer est personnelle, et je ne peux prĂ©tendre Ă  connaitre tous les arguments qui ont pu amener le ComitĂ© Olympique Ă  choisir ce logo. Cette analyse est donc subjective.

Les designers de l’agence sĂ©lectionnĂ©e ont travaillĂ© sur ce projet, pendant des mois. Leur investissement a dĂ» ĂŞtre total. Ce sont des professionnels expĂ©rimentĂ©s. Chaque choix Ă  du faire l’objet d’âpres dĂ©bats pour aboutir Ă  des consensus avec le commanditaire. Il me semblait important de dĂ©buter par rappeler cela, mĂŞme si je ne suis pas forcĂ©ment d’accord avec le rĂ©sultat final.

Pour ma part, l’analyse qui va suivre n’est pas complètement neutre, puisque j’ai pu participer avec GraphĂ©ine Ă  cette compĂ©tition (cf: notre projet). Mais, point d’esprit de revanche, car notre proposition est loin d’ĂŞtre parfaite et n’avait pas, selon moi, toutes les qualitĂ©s requises pour en faire un projet parfait.

Je sait combien il est plus facile de critiquer que de proposer. Pour notre dĂ©fense, nous n’avons pas pu investir chez GraphĂ©ine plus de 48h pour concevoir notre proposition, lĂ  oĂą plusieurs mois seraient nĂ©cessaires pour concevoir un projet dans les règles de l’art. Mais qui peut investir ce temps sans indemnisation ? Personne. Un vaste sujet.

Un logo genré ?

« Femme, je vous aime » chantait julien clerc.

C’Ă©tait en 1969. Ma mère adorait tout ce que faisait Julien Clerc. En particulier sa comĂ©die musicale « Hair ». Bon, ok, le lien avec ce logo est capilotractĂ©. Quoi que, en matière de coupe de cheveux on pourra y revenir.

Faire une place aux femmes, dans le sport, les médias, est un sujet légitime et éminemment actuel. Pourquoi pas profiter de cette occasion en or pour promouvoir affirmer ce combat… en cela, l’intention n’est pas forcément à remiser au placard d’un revers de manche. Bon, ça contredit un peu la dimension « universelle » de l’événement, mais on a parfois le droit de faire quelques entorses aux grands principes. Les sportifs connaissent bien les entorses.

Mais cette femme n’est ni Marielle Goitschel, ni Marie-José Perec. Dans le bénéfice du doute, je vous accorde éventuellement Suzanne Lenglen. Mais on reviendra sur cet esprit 1920 plus tard.

A priori, cette femme n’est pas sportive. Sauf à intégrer le rouge à lèvres dans la gamme Kalenji de Decathlon, on se demande ce que cette bouche pulpeuse vient faire ici.

La fĂ©minitĂ© mĂ©rite d’autres arguments que des lèvres de sĂ©ductrice. Le comitĂ© met en avant la dimension Ă©galitaire de ces jeux, mais utilise une reprĂ©sentation hypersexualisĂ©e d’un symbole national et des femmes en gĂ©nĂ©ral. On pourrait dĂ©border sur l’objectivation des femmes. C’est lĂ  que l’idĂ©e d’un logo « fĂ©ministe » se dĂ©robe aux yeux de celui qui regarde ce signe Ă  deux fois.

Cette femme est une Parisienne, celle des stéréotypes, chic et glamour(et blanche) !

Cette femme est une Parisienne, celle des stĂ©rĂ©otypes, chic et glamour (et blanche). La dernière fois qu’elle a fait du sport, c’Ă©tait pour sortir son petit chien. Enfonçons les stĂ©rĂ©otypes.

Un logo unique pour jeux olympiques et paralympiques

Nous devrions louer le comitĂ© olympique d’avoir rĂ©unis valides et non-valides derrière un mĂŞme logo. Cette idĂ©e est contemporaine, forte, engagĂ©e. Reste que Wally Olins l’avait dĂ©jĂ  fait en 2012 pour l’identitĂ© visuelle des Jeux olympiques de Londres. Ça n’enlève rien Ă  la pertinence et l’importance symbolique de ce choix. Le vĂ©ritable engagement aurait Ă©tĂ© d’obliger tous les pays Ă  accorder des primes Ă©quivalentes aux athlètes indĂ©pendamment de leur sexe ou de leur handicap.

Marie-Anne ou Marianne ?

On brandit Marianne pour vendre ce projet. Mais oĂą est Marianne ? Point de Marianne dans ce signe. Marianne est rĂ©volutionnaire, son bonnet est rouge et phrygien. Vous savez, ce bonnet qui tire sa symbolique de libertĂ© de sa ressemblance avec le pileu (chapeau en latin) qui coiffait les esclaves affranchit de l’Empire romain, reprĂ©sentant leur libĂ©ration. C’est probablement une coquille du communiquĂ© de presse, il s’agit bien de Marie-Anne, la sĹ“ur de mon ex-belle mère. Coiffeuse Ă  Saint-Dier-D’auvergne.

Un logo qui regarde dans le rétroviseur !

On nous parle de Josephine baker, des annĂ©es 20, des JO de Paris 1924. Toute la typographie se fonde sur un esprit art-dĂ©co. Les revivals c’est bien, mais les crĂ©ations c’est mieux. On a l’impression de regarder dans un rĂ©troviseur. Ok pour respecter l’hĂ©ritage, mais faire Ĺ“uvre de conservation du patrimoine semble dĂ©suet au regard des enjeux de communication d’un Ă©vĂ©nement qui devrait davantage regarder vers l’avenir. Les Jeux olympiques, c’est la jeunesse du monde entier qui s’exprime avec le sport comme langage. Ce signe devrait ĂŞtre l’expression de cet avenir. Quelle promesse va leur apporter ce logo ? Une coupe gratuite pour une coupe gagnĂ©e ?

On nous parle d’Ă©cologie ?

Alors lĂ , cassons les idĂ©es reçues. Un logo en « Pantone doré » c’est tout sauf Ă©cologique. Primo, les encres mĂ©talliques comme leur nom l’indique sont composĂ©es d’encres et de diffĂ©rents mĂ©taux lourds qui vont apporter le « brillant ». Les mĂ©taux lourds, c’est un peu comme pour les poids lourds, vaut mieux pas rester derrière. Ensuite, comme ce type d’impression est rare, il faut nettoyer toutes les presses d’impressions avec une forte dose de solvants. Mais ça fait chic le Pantone dorĂ©. C’est polluant, mais Ă©lĂ©gant.

Après, s’ils impriment en quadrichromie, le Pantone dorĂ© deviendra un « marron ». LĂ  effectivement, c’est Ă©cologique le marron. Les esprits sarcastiques diront que le gris reprĂ©senterait plus Paris.

Le culte de l’individualisme ?

Choisir une mĂ©daille comme symbole ne me semble pas vraiment cohĂ©rent avec l’idĂ©e politique du projet. La mĂ©daille c’est le symbole du vainqueur. On nous parle de « collectif, de partage, d’esprit d’Ă©quipe, de sport pour tous… », mais on utilise le symbole le plus individuel. L’essentiel est-il de gagner ? Ou bien de participer ?

La flamme olympique ?

Bon c’est le seul ingrĂ©dient qui nous rattache au sujet. Je ne vais pas le critiquer.

Et le sport dans tout ça ?

On l’a vu, rien n’est sportif dans ce logo. OĂą est le mouvement ? L’Ă©nergie ? La typographie semble pleine de mollesse, la gestualitĂ© en est absente. L’ensemble est bien proportionnĂ©. Les cheveux sont bien coupĂ©s. On en revient Ă  Hair.

On aurait aimé de la vie, du mouvement, et pourquoi pas du débordement.

Un logo fermĂ©…

C’est probablement lĂ -dessus que mon point de vue diverge avec le projet retenu. Il me semble que pour qu’un projet de branding soit rĂ©ussi, il faut que le logotype soit basĂ© sur une idĂ©e suffisamment « fertile » pour inspirer la multitude de dĂ©clinaisons nĂ©cessaires. En effet, c’est dans la polysĂ©mie visuelle d’un signe que la richesse des dĂ©clinaisons pourra germer.

Ainsi certains signes peuvent facilement s’imaginer en mouvement, en volume, dans l’espace… tandis que d’autres signes sembleront « statiques et peu inspirants ». Le logo des JO de 1968 conçu par Lance Wyman est un excellent exemple. Le design du logo lui-mĂŞme inspira un design intĂ©gral, de l’habillage des stades aux costumes des hĂ´tes et hĂ´tesses. Le mĂŞme langage qui s’exprime sur tous les supports, une grammaire qui se dĂ©ploie et vient s’enrichir sans diluer le propos. C’est cela une identitĂ© visuelle.

Dans le cas du logo des JO de Paris, le propos est fermĂ©. Rien d’autre ne s’exprime dans l’univers graphique qui accompagne le logo.

La polysĂ©mie visuelle est selon moi un gage de durabilitĂ©. En effet, la forte rĂ©pĂ©tition d’un signe provoque inĂ©vitablement une forme d’habitude, voire de lassitude. Un signe qui possède plusieurs niveaux de lecture et qui s’exprime dans une grammaire visuelle riche, rĂ©sistera bien mieux au temps.

Je ne garantie pas la durabilité de ce signe. Puisse le temps me donner tort.

Enfin, pour conclure, c’est Ă©galement une question politique. Doit-on offrir “aux regards” des signes simplistes “de fond et de forme” pour s’assurer que tout le monde comprenne… ou bien doit-on faire confiance “aux regards” pour s’emparer de signes polysĂ©miques et de leurs imaginaires induits… Personnellement, mon choix est fait.


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